mercredi 9 février 2011

Au-delà de Gbagbo: l'Afrique

africa.gif

«La vraie passion du XXème siècle, c’est la servitude», écrit Camus à propos de notre époque, laquelle «n’offre à choisir que des conformismes». Or comme toute passion, celle de la servitude est souffrance et produit doublement des patients, soit qu’on s’acharne à asservir les autres, soit qu’on se résigne à l’asservissement. L’on ne s’étonnera sans doute plus que les nations qui se sont autoproclamées propriétaires du monde, et qui de ce fait expriment bien de la souffrance, s’activent, à leur insu parfois, à produire de la souffrance en multipliant des risques de servitude génocidaire chaque fois que leurs intérêts sont interpellés.

Ces puissances du monde n’ont plus de scrupule à promouvoir l’industrie de la violence. Cette dernière ouvre des marchés, produit des armes qu’elle vend, et permet aux multinationales de revenir sur le terrain des violences rebâtir ce que leurs armes ont activement aidé à détruire. Au bout du compte, il ne s’agit que de marchés, et donc de bénéfices. Et depuis des siècles, l’Afrique est désignée comme terrain d’expérimentation multiforme pour de nouvelles règles diplomatiques, de nouveaux médicaments et des armes nouvelles dont les propriétaires du monde équipent des Forces naturellement Nouvelles...

L’Union européenne fait la force coloniale

Notre monde n’aura pas beaucoup vu les forces de l’ONU censées maintenir la paix s’activer et s’imposer par leur efficacité au Rwanda où il se perpétrait bien des horreurs. Ces ’’soldats de la paix’’ savaient regarder ailleurs. Tout aura même été fait pour les exfiltrer, les éloigner des zones des massacres, probablement pour «avoir la paix !»… Ce sont cependant ces mêmes ’’soldats de la paix’’ que la même ONU entend largement, et cette fois efficacement, déployer en Côte d’Ivoire, pour cette paix à l’onusienne, dont l’objectif mal maquillé consiste à remettre une jeune nation africaine en revendication de sa souveraineté sous les fourches caudines d’une puissance coloniale à veto. Les forces de maintien de la paix de l’ONU vont donc, à ce qu’on dit, pacifier la Côte d’Ivoire. Il existe déjà en Afrique des pays où les populations savent que cette formule s’est toujours illustrée par des cimetières et des enterrements sommaires dans des fosses communes. Ainsi, c’est pour une raison hautement pacificatrice - quoique d’une éthique plutôt singulière - que l’Organisation des Propriétaires du monde s’est concertée et qu’elle s’est constituée en une Internationale colonialiste pour les besoins de sa cause.

La Côte d’Ivoire est donc devenue un cas d’école pour l’Afrique et le monde, au lendemain des cinquantenaires de ce qu’on a pompeusement présenté comme les indépendances africaines. Certes la Côte d’Ivoire se serait volontiers passée d’une telle distinction ; mais à travers elle, c’est toute l’Afrique qui se trouve en devoir de constater qu’elle est traitée de la main gauche par la «Communauté internationale» dont elle est censée faire partie, mais dont elle devra se savoir exclue, parce que dans le lexique de l’Internationale colonialiste, «international» signifie «occidental». Du fait de l’ONU, l’Afrique se voit donc enfin officiellement et férocement confirmée dans son statut d’ensemble de territoires sans Etats véritablement souverains, la souveraineté d’aucun pays africain n’ayant véritablement figuré à l’ordre du jour de l’ordre colonial et néolibéral dominant. La diplomatie de la «Communauté internationale», inspirée par l’Internationale colonialiste veut que toutes les chancelleries le sachent ; que toutes l’entendent bien ainsi, mais que toutes se gardent bien de le dire, par diplomatie, en confirmation de l’adage où l’Union (européenne) fait la force (coloniale).

La notion de souveraineté appelle cependant quelques observations: chaque fois qu’un potentat africain monte un mauvais coup contre son peuple, il se drape de la «souveraineté» nationale dans l’espoir d’échapper à toute observation critique ou à toute évaluation extérieure. Ces potentats se plaisent d’autant plus à ce jeu qu’ils s’y livrent impunément, le plus souvent avec l’onction d’une métropole coloniale prompte à donner une crédibilité «internationale» à l’impénitent potentat. Le peuple peut toujours hurler son indignation et sa désolation : «l’homme fort» se sait couvert par son mentor métropolitain, qui lui-même se cache derrière des «accords de défense». Car sous prétexte de «coopération militaire», la métropole n’hésite jamais à défendre un dictateur contre un peuple, son propre peuple, qui l’a rejeté.

La Côte d’Ivoire post électorale nous fait témoins d’un scénario différent, presque inverse : il s’y observe un flagrant déni de souveraineté du peuple ivoirien, moins cette fois par un potentat que par une communauté «internationale» à la rescousse d’une métropole en perte de vitesse en Afrique. Les calculs électoraux et les combinaisons politiciennes ayant mal abouti, il restait à la légalité de prévaloir, force devant rester à la loi. Et la loi fondamentale de la Côte d’Ivoire fait du Conseil constitutionnel le seul organe habileté à proclamer les résultats des élections, quelles qu’en soient la nature et les conditions de déroulement. Contrairement au scenario habituel, ce n’est plus un potentat qui cherche à spolier son peuple de sa souveraineté en comptant sur des appuis métropolitains étrangers. C’est une métropole coloniale qui s’appuie sur un lobby ethno diplomatique et financier pour imposer son diktat à un Etat dont les institutions ont formellement dit le droit, conformément à ses lois. Ce qu’aucune nation occidentale n’accepterait doit donc être imposé à une nation d’Afrique. C’est l’Afrique. Ce n’est donc pas important…

La question semblait banalement arithmétique ; elle a pris toute une dimension juridique et politique qui appelle d’autres questions :

La Côte d’Ivoire est-elle un état souverain membre de l’ONU ?
Si oui, disposerait-elle d’un arsenal juridique propre à en faire un état où se dit le droit ?
Ces lois ivoiriennes peuvent-elles être invoquées par les Ivoiriens pour des élections en Côte d’Ivoire ?

Si tel pouvait être le cas, d’où viendrait-il qu’une métropole, fût-elle aussi amicale et aussi désintéressée que la française, s’arroge le droit de lancer un ultimatum à un Chef d’Etat que le Conseil Constitutionnel de son pays a légalement proclamé élu, en validation corrective d’une arithmétique des urnes dont il pourrait s’avérer qu’elle a été viciée par des fraudes?

Et Laurent Gbagbo de poser la seule question qui vaille à ses Pairs venus en médiation : «Qui a gagné les élections en Côte d’Ivoire ?»

L’inversion du scenario habituel dessine un schéma nouveau : hier c’est un Gouverneur de colonie de souveraineté théorique qu’une métropole coloniale défendait contre un peuple spolié de sa souveraineté et subjugué au nom des intérêts de la métropole. Aujourd’hui, c’est un Chef d’Etat en revendication d’une souveraineté effective au bénéfice de son peuple qu’une métropole harcèle. La notion de souveraineté s’avère donc à géométrie variable selon que c’est un nationaliste ou un gouverneur de colonie qui en parle. Aussi y aurait-il légèreté à se hâter de signer, au nom de cette souveraineté, le moindre chèque en blanc à quelque Chef africain que ce soit, bien que la mouvance nationaliste et patriotique dont se réclame Gbagbo puisse favorablement le positionner aux yeux d’une Afrique de plus en plus lassée de ses chaînes.

La France, qui a perdu la cote mais tient tant à l’ivoire, fait du braconnage politique

Il se trouve que l’Afrique présumée «francophone», en réalité «française», excelle dans la complaisance à revendiquer son propre maintien dans l’esclavage sociopolitique. La voici donc allègrement remise en corset et reprise en étau par ce que chacun devra sans doute reconnaître bientôt comme le Nouvel Ordre Mondial de la Colonisation (NOMC). En somme derrière la couverture de la «Communauté internationale», l’Internationale colonialiste et néolibérale réédite ce qu’elle a perpétré depuis Berlin et Yalta, puis entre 1945 et 1960, au moment où des Africains d’avant-garde engageaient la lutte pour l’indépendance de leurs territoires et la souveraineté effective de leurs peuples.

Cinquante années après ces «indépendances», le même lobby colonialiste s’active autour des territoires africains qui comptent : car au moment où le système économique et social de l’Occident se fissure et s’effiloche, il n’est surtout pas question de perdre ni une seule plantation, ni aucune source de matières premières ; il n’est surtout pas question de laisser les Africains penser que le Pacte Colonial pouvait être reconsidéré, encore moins rompu au nom de nul ne sait quel droit de quels peuples à disposer d’eux-mêmes.

Tant qu’une dictature tropicale laisse l’Internationale colonialiste disposer de ses territoires et de ses ressources diverses, la «Communauté internationale», entendez les métropoles occidentales, n’y trouve rien à redire ; au nom du Nouvel Ordre Mondial de la Colonisation, elle se hâte même de consacrer ladite dictature comme démocratie, et de la présenter comme modèle d’intelligence politique et de «sagesse» africaine. Mais qu’il se trouve un nationaliste pour s’intéresser au sort de son peuple, aussitôt s’agite le drapeau menaçant de la démocratie à l’occidentale dont l’Europe s’arroge le droit de dispenser des leçons contre ses propres pratiques sociales et politiques parfois douloureuses et bien souvent embarrassantes de honte. La diffusion dans les médias occidentaux de la manière dont le Fils de l’autre a gagné les élections présidentielles au Gabon établit l’éthique électorale et démocratique que «la Communauté internationale» sait opportunément appliquer aux colonies d’Afrique…Quand on a su autant bâillonner sa moralité électorale et sa propre vergogne au Gabon, se montrer aussi délicat en Côte d’Ivoire relève du gangstérisme politique international!

C’est dans ce jeu que bien des gouvernements occidentaux se sont surpassés, ceux de France en tête. Mais la France n’a plus la cote. Chaque jour, elle observe qu’elle a même perdu cette cote qu’elle s’est arrogée en Afrique pendant de longs siècles d’amitié acharnée, de tartufferie politique et de séduction culturelle. Seulement, elle a beau perdre la cote, la France tient à l’ivoire. Dans sa rage d’en perpétuer le trafic, la voici installée dans le braconnage politique et mobilisée pour y recruter ou y compromettre d’autres nations, selon cette règle du partage qui veut que les Propriétaires de notre monde se gardent de se gêner dans leurs «chasses gardées» respectives. Il va donc y avoir des assassinats d’éléphants, l’ONU ayant pris parti contre la souveraineté d’un de ses Etats membres, au mépris tout à fait flagrant des conventions internationales qui, au bas mot, font des pachydermes une espèce en voie de disparition et comme telle protégée. Mais nous souscrivons à la déclaration d’un Collectif d’intellectuels d’Afrique et du monde : il faut empêcher toute intervention militaire en Côte d’Ivoire ; il faut sécuriser les Eléphants.

Le 2 décembre 2010, l’Elysée déclarait qu’«il appartient désormais au Conseil constitutionnel de proclamer les résultats définitifs dans le strict respect de la volonté clairement exprimée par le peuple ivoirien». Cette déclaration engageait le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire dans un tunnel sans lumière, de manière si «stricte» que la seule possibilité consentie à cette institution se résumait à reproduire ce qui semblait avoir été « clairement exprimé par le peuple ivoirien ». Mis en demeure de répéter ce qui lui était ainsi dicté, le Conseil constitutionnel se trouvait violemment dépouillé, par l’Elysée, de toute véritable prérogative. Le Conseil constitutionnel, organe de délibération et de décision, avait mission de valider les résultats à lui soumis par la Commission Electorale Indépendante, un organe consultatif. L’Elysée lui enjoignait de se satisfaire de la certification de l’ONU, et de renoncer à la validation dont il avait pouvoir. Le Conseil constitutionnel ayant joué son rôle légal et statutaire, «l’homme fort» de l’Elysée s’en est pris presque physiquement au candidat proclamé élu. A croire que pour l’Elysée, le Conseil constitutionnel ne vaudrait comme institution républicaine que s’il déclarait élu le candidat dont les fraudes électorales avaient été dénoncées, et les résultats légalement invalidés dans certaines circonscriptions.

Au risque d’étonner le bon sens, même la Maison Blanche s’y est laissé tromper au prix d’une contradiction remarquée : l’on y prônait naguère une Afrique des institutions fortes par rejet d’une Afrique des hommes forts. Voici que dans un discours d’homme fort, la Maison Blanche dénonce une institution forte mise en place par un homme dont l’action, de l’avis général, et en dépit des va-t-en-guerre de son pays, tendait tant bien que mal à instaurer des institutions républicaines qui fonctionnent au-delà des hommes. La Maison Blanche pourrait bien s’être laissé compromettre par une métropole européenne qu’on surprend à dénoncer le fonctionnement des institutions qu’elle applique elle-même dans l’Hexagone, et que sa Vème République a imposées aux colonies par assimilation institutionnelle.

Il ressort de toutes ses considérations que pour le destin de l’Afrique, et bien au-delà de sa personne, Laurent Gbagbo s’apparente à une espèce en voie de disparition. Personne ne nous fera penser ni croire qu’il est un ange. Et on peut douter qu’il revendique ce statut surhumain : c’est un homme de pouvoir ; et le risque de tout pouvoir est de se dégrader en puissance en cédant à bien des faiblesses. Mais sans nécessairement le dédouaner de ses propres insuffisances ou de ses éventuels forfaits, la vision patriotique que Laurent Gbagbo a impulsée en Cote d’Ivoire déplace la querelle : elle l’élève des simples joutes électoralistes vers l’arène nationaliste et patriotique. Thomas Sankara s’y est généreusement engagé dans son style. Un de ses amis a été armé pour mettre fin à son rêve, au nom des intérêts étrangers au Burkina Faso. On va sans doute bientôt armer un cousin africain de Gbagbo pour vous l’assassiner, ou diligenter la Cour Pénale dite internationale mais résolument «occidentale» pour l’embastiller. L’ONU y assistera «en toute neutralité» pour avoir, une fois encore, été instrumentalisée par une Internationale colonialiste qui s’est maquillée aux couleurs de la «Communauté internationale» dans l’illusion de masquer ses appétits. Par delà ses limites humaines, Laurent Gbagbo aura surtout commis l’abominable crime de penser ivoirien en Ivoirien, de penser africain pour l’Afrique. Il a osé s’imaginer que les Ivoiriens avaient, eux-aussi, le droit de penser leur destin, de se prendre en main et de sortir du corset colonialiste. Il a osé parler d’indépendance alors que pour certaines métropoles, la Côte d’Ivoire doit rester sous surveillance des forces d’occupation, et l’Eléphant ouest africain sous contrôle de la Licorne hexagonale…

Perception zoologique de l’Afrique dite francophone

Il n’est pas nouveau que notre «organisation» des Nations Unies se laisse instrumentaliser par certaines nations à veto en négation flagrante de la souveraineté de nations sans pouvoir de veto. Cette faiblesse a fait prendre bien des décisions regrettables dans bien des pays du monde. Le Cameroun par exemple n’a pas encore oublié qu’il n’a jamais été une colonie française. Il se souvient même qu’il fut une pupille des Nations unies. Mais cette organisation a abdiqué ses responsabilités de tutrice pour des raisons que seul un penchant à l’infanticide peut expliquer ; car l’ONU a plutôt sacrifié sa pupille aux intérêts de l’Internationale colonialiste, sous prétexte que la France s’était, la main sur le cœur, engagée à «conduire» le Cameroun à son indépendance, à sa souveraineté et, comme de bien entendu, à sa prospérité. Plus de cinquante années après, le Cameroun en est toujours à courir après l’effectivité de son indépendance. Les Camerounais en sont toujours à se gargariser d’une souveraineté cosmétique. Quant au développement, le monde a entendu que le discours sur l’émergence a déporté le Cameroun sur les calendes de 2035! C’est dans cette logique de report et de différé permanent que pour Pierre Mesmer, Ancien Haut-commissaire de la France coloniale au Cameroun, il fallait confier l’indépendance du Cameroun et sa gestion «à ceux qui la voulaient le moins». Plus de cinquante années après, l’ONU ne semble toujours pas pressée de savoir quel sort la France a réservé à sa pupille… S’agissant du Cameroun, les Nations Unies pourraient valablement et fort utilement organiser une plénière sur l’irresponsabilité tutorale et parentale.

Il devient donc réductionniste de se focaliser sur la personne de Gbagbo : la situation que vit la Côte d’Ivoire interpelle l’Afrique toute entière, tout au moins l’Afrique qui rêve de son indépendance réelle sur les divers plans économiques, politiques et socioculturels. Car il n’est pas de juriste, il n’est pas de juridiction qui ne puisse reconnaître qu’au plan institutionnel, la proclamation de Laurent Gbagbo comme Président de Côte d’Ivoire est incontestable. Partout dans le monde, l’arithmétique des urnes doit attendre la validation d’une haute juridiction pour donner un visage aux électeurs, un nom au peuple, une conclusion légale aux élections. Il est surprenant que ce processus soit automatique et respecté comme tel dans les «grandes» démocraties du monde, et que les mêmes grandes démocraties affichent tant de myopie institutionnelle au même nom de la démocratie. Mais chacun y reconnaîtra l’éthique «internationale» par laquelle l’Occident sut jadis organiser des croisades, bénir des expéditions d’esclaves et exterminer des créatures de Dieu au nom de Dieu, de son Dieu à lui!

Au-delà des démissions morales et des génuflexions par lesquels certains Africains se distinguent, la crise provoquée en Côte d’Ivoire montre que dans une nation membre des Nations Unies, un Conseil constitutionnel peut se voir violemment nier toute autorité morale, toute autorité légale, et toute autorité formelle de constituer ladite nation. C’est tout à fait nouveau dans le droit international. Mais la violence de ce déni ne peut surprendre venant de ceux dont le credo est qu’il n’est de bon Nègre qu’à genoux ! Et qu’en Afrique, il n’y aura que des nations asservies, des nations de service ; et qu’il ne sera de nation reconnue que celle qui se sera conformée au diktat de l’Internationale colonialiste en souscrivant aux critères du partage du monde en zones d’influence réservées, comme le «Pré carré», appellation agropastorale qui dit assez clairement la perception zoologique que d’aucuns ont de l’Afrique dite «francophone».

Mais le tableau s’est clarifié pour ceux qui en doutaient encore, ou qui s’imaginaient qu’il suffisait à un pays d’Afrique d’avoir un hymne, un drapeau et quelques fusils pour être reconnu comme nation souveraine : pour le Nouvel Ordre Mondial de la Colonisation (NOMC), la bonne Afrique est l’Afrique-Plantation. Et le «sage» est l’Africain dont le territoire tient entre le balai et la poubelle, le tablier et la chamoisine… Avant Gbagbo, Lumumba et Um Nyobe ont voulu briser la chaîne de cet embastillement sociopolitique, économique et culturel. L’ONU a assisté impassible à leur liquidation sommaire, au nom de la paix telle que prônée par l’Internationale colonialiste. Jamais deux sans trois…

Selon que vous serez d’Afrique ou d’Occident…

Il ne suffira cependant pas que Barack Obama ait étonné le continent africain et qu’il se soit dédit pour que raison soit donnée à un fonctionnaire de l’ONU, fort sympathique au demeurant, mais manifestement inapte à percevoir la différence de droit qui existe entre la «certification» dont il avait mandat et la «validation» des résultats dont seul le Conseil Constitutionnel avait exclusivement le pouvoir. Et ce n’est plus de l’ignorance juridique que de confondre un organe consultatif avec un organe délibératif et de décision. Car ce n’est pas par ignorance que l’ONU, par son représentant, s’est échinée à imposer les propositions d’un organe consultatif aux délibérations de la plus haute juridiction d’une nation. L’Afrique ne va tout de même pas tout le temps avoir honte à la place des autres. Car l’on semble compter sur la pudeur des Africains pour leur faire tolérer n’importe quelle incompétence. Mais ils fonctionnent sur instructions, les fonctionnaires. C’est donc bien «l’organisation» qui s’est exprimée par la voix de M. Young-jin Choï, où il se perçoit bien que Choï n’a pas eu de choix : étant aux ordres de l’Internationale colonialiste, il aura fait son devoir en accomplissant sa besogne de mission. Aussi, n’aura-t-il pas hésité à violer la Charte même des Nations Unies qui prescrit de n’entreprendre d’action dans un pays membre que dans le strict respect des institutions et de la souveraineté dudit pays.

Mais la Charte des Nations Unies n’a pas prévu que l’organisation reconnaisse ses erreurs et fasse amende honorable. Quand on répond de l’Internationale colonialiste, on ne sait pas avoir tort. Sous la pression de l’Internationale colonialiste, les prescriptions même de la Charte ne sont plus que des balivernes cérébrales devant les intérêts géopolitiques et mercantiles à préserver. Pour cette raison, et parce qu’il s’agit d’un pays africain, les personnalités membres d’un Conseil constitutionnel cessent aussitôt d’être des juristes de qualité. Ils ne sont plus que des «proches» et des «amis» du Président. Que M. Kipré, Ambassadeur de Côte d’Ivoire en France rappelle que Michel Debré, Président du Conseil Constitutionnel de France doit, dans cette logique, n’être qu’un «proche ami» de Sarkozy, et l’on entend le journaliste Elkabach glapir: «il ne faut pas comparer !». Ainsi, selon que vous serez d’Afrique ou d’Occident, le Conseil constitutionnel sera un banal cercle de proches amis du Président ou une instance délibérative digne d’être respectée par l’ONU…

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la Cour Pénale Internationale se hâte de se signaler à l’opinion comme l’aile judiciaire de l’Internationale colonialiste, au risque de se pénaliser en se dégradant en Cour «occidentale» : elle qui fut d’une discrétion remarquée et d’un silence assourdissant pendant bien des génocides en Afrique, elle qui ne donna aucune suite aux requêtes de la Côte d’Ivoire sur les tueries de la Licorne, affûte déjà ses articles et ses «attendus» contre tous ceux qui auront osé penser que l’Afrique a des droits, et que ses Conseils constitutionnels sont en devoir de dire le droit en toute souveraineté…Le Nouvel Ordre Mondial de la Colonisation (NOMC) est résolument en marche. Et le Conseil de Sécurité se signale déjà comme sa branche armée, prompte à déployer des soldats pour mater la soif d’indépendance des nationalistes africains…

Tant d’indices laissent penser qu’en ce début du XXIème siècle un gouvernement mondial se met discrètement en place. Comme d’habitude, l’on aura choisi l’Afrique comme terrain de son expérimentation ; et la Côte d’Ivoire donne un aperçu de la gestion et du fonctionnement de ce gouvernement mondial. Son mode de gestion est si éloquent qu’il n’y a pas meilleure manière de dire à l’Afrique qu’elle n’y comptera pas pour grand-chose, ou pour si peu, qu’il lui faudra de puissants mégaphones pour se faire entendre. Sauf à choisir enfin de s’assumer sur la base de ses règles endogènes, de s’étudier sur la base de ses propres concepts, de s’instruire sur la base de ses propres canons et méthodes culturels pour se donner quelque chance de se reconquérir et de se réconcilier avec elle-même. Il est d’une évidence lumineuse que cette mise en perspective de l’Afrique ne sera d’aucune motivation pour les professionnels de la génuflexion, et qu’elle sera même âprement combattue par ceux des Africains qui auront été dressés au reptilisme existentiel.

C’est qu’au-delà d’un nommé Gbagbo, l’autre question de fond que la Côte d’Ivoire pose à l’Afrique est la problématique même des élections comme processus d’accès à la gestion publique. La démocratie est-elle nécessairement électorale ? Les peuples en général, les peuples d’Afrique notamment, n’auraient-ils que des élections pour se gérer en société ?

Les élections, seul outil d’accession à la gestion de la vie publique et au pouvoir ?

La culture occidentale est fondamentalement, foncièrement et essentiellement conflictuelle. Certes Héraclite d’Ephèse a étudié en Afrique avant d’établir le conflit, la lutte des contraires comme moteur du monde. L’Afrique ne conçoit cependant pas le monde en termes d’affrontement ; l’Afrique culturelle profonde conçoit le monde en termes d’intégration et de consensus. Contrairement aux contrevérités de certains touristes scientifiques qui se sont autoproclamés «africanistes», l’anthropologie africaine a des choses bien plus porteuses à enseigner dans ce domaine.

La rage d’uniformisation du monde étonne de plus en plus chez ceux-là même qui prétendaient combattre la pensée unique ; elle est exacerbée par le slogan économico-mercantile de la mondialisation, dont les institutions de Bretton Woods, l’OMC comme le FMI, constituent le bras usurier. Au nom de l’uniformisation du monde, il suffit désormais qu’un slogan soit diffusé et soutenu dans les medias «internationaux», entendez «occidentaux», pour qu’il devienne une vérité infaillible pour le reste du monde. C’est ainsi que les pays d’Afrique, hier pays du «Tiers monde», ou «Pays sous-développés», ont été successivement et unilatéralement rebaptisés pays «en voie de développement», puis «Pays les Moins Avancés» (PMA), puis «Pays Pauvres Très Endettés» (PPTE) et, pour demain, «Pays Emergents». L’Eurocentrisme n’a pas fini de coûter cher aux peuples d’Afrique, tant au plan économique, moral que politique. Dans ce dernier cas, l’accession à la gestion publique par les élections fait tellement problème en Afrique qu’au lieu de penser que ce sont les Africains qui sont inaptes à la démocratie électorale, il serait temps de se demander si l’urne est bien le mode socioculturel le plus approprié pour l’accession au pouvoir et pour sa gestion en Afrique.

Nous ne perdons pas de vue que si aujourd’hui l’Occident agite aussi ostensiblement le fanion des élections, il n’y a pas si longtemps que ses «grandes nations» excluaient le vote de leur fonctionnement. Et quand l’Occident a fini par céder au principe des élections, il a fallu de nouvelles luttes acharnées pour que toutes les populations soient admises à voter. Il n’y a donc pas longtemps que certaines grandes nations occidentales ont concédé ce droit à la femme – dont le statut d’être humain n’a été toléré que fort récemment. Dans certaines «grandes démocraties» occidentales, la reconnaissance de la femme comme personne humaine a paru si révolutionnaire qu’elle a été gravée sur des stèles comme une invention exceptionnelle de l’humanité…

Si donc la démocratie se définit comme pouvoir émanant d’un peuple donné, et s’il est entendu qu’en Afrique il existe des peuples et non de simples hordes de primates, le plus distrait des touristes pourrait avoir remarqué, sauf amnésie et cécité délibérées, que l’Afrique a une longue expérience de la gestion publique et de l’accès au pouvoir.

Une certaine propension au raccourci pousse une catégorie d’Africains à renoncer à comprendre, pour s’être convaincus par facilité que les autres ont déjà tout dit, tout pensé, tout trouvé. Quand les autres auraient effectivement tout pensé et tout trouvé, ils l’auraient fait pour eux, en fonction de leur vécu à eux et de leurs attentes à eux. C’est pour cela que même le sparadrap, grande trouvaille occidentale devant l’Eternel, n’existe pas encore en couleur cacao ou café, mais se produit exclusivement en couleur rose cochon… De tels détails de notre simple quotidienneté d’infirmerie devraient inciter les Africains à réfléchir sur bien d’autres produits que l’Occident vante dans ses médias et qu’il nous propose, sous prétexte de modernité et d’ouverture, comme une panacée à nos problèmes d’Africains.

C’est dans ce contexte que des questions bien plus graves pourraient surgir : dans quelle culture ou société africaine a-t-on jamais vu 51% d’une famille humaine s’arroger le droit de régenter 49% de la même famille sous prétexte que des bouts de papiers ont été jetés dans une boîte, individuellement, séparément et en cachette? Dans quelle société d’Afrique a-t-on jamais vu une palabre se terminer hors consensus, quand le Patriarche chargé de vider un litige se fait un point d’honneur de ramener le plus radical des contradicteurs dans le cercle du consensus pour qu’à la fin, les uns et les autres partagent la cola en dégustant le vin de la réconciliation, de l’entente et de la cohésion sociale retrouvée ?

Le tropisme et l’extraversion pousseraient des décervelés à douter ! Pourtant, il va falloir, et bientôt, se résoudre à choisir : guérir du dressage et du mimétisme, ou renoncer définitivement à représenter une culture, un peuple, un continent et une histoire dont la richesse aussi piratée qu’enviée est souterrainement combattue par ceux-là mêmes qui la parasitent. Observons déjà comme la vertu du consensus est convoitée par les adeptes des pouvoirs électoraux «modernes», issus de la démocratie électorale de 51% contre 49%. C’est bien par intention, par soif et par impatience de consensus ou de réconciliation que tout «Président élu» se hâte de déclarer qu’il sera le Président «de tous les …». Quand bien même cette déclaration ne serait faite que du bout des lèvres, l’effort de mensonge du nouveau président est déjà en lui-même révélateur d’un fonds culturel qu’aucun Africain ne devrait se hâter d’évacuer.

Les urnes n’ont pas une histoire si lointaine que cela en Occident. Et la généralisation des élections à l’occidentale n’est encore ni un certificat de démocratie, ni une garantie de paix sociale dans les «grandes démocraties» occidentales. D’aucuns auraient bien voulu qu’il n’en fût point ainsi, mais l’Afrique profonde a des enseignements à donner au monde en matière de démocratie et de convivialité : «Le pouvoir y reposait sur un système de prise de décision collégial et consensuel. La méthode en était la palabre, et l’instrument l’assemblée de village. Au-dessus du village, à chaque niveau d’organisation géographique, district ou région et royaume ou empire, des assemblées de délégués fonctionnaient selon le même principe de consensus. S’il y a une tradition africaine de prise de décision collective, elle est bien celle de la palabre et du consensus. Elle prend du temps, mais elle s’attache au respect de chacun et permet les décisions nécessaires à la survie du corps social». Le même auteur déplore «la méconnaissance profonde où se trouve l’Occident des modes de fonctionnement de l’Afrique (…) Tout se passe en Afrique comme si l’Occident colonisateur avait efficacement détruit une amorce de sociabilité locale que l’on peut appeler démocratie consensuelle, et n’arrivait pas à faire prendre la greffe de son produit de remplacement, la démocratie conflictuelle». (2001)

Non, il ne s’agit pas encore de Cheikh Anta Diop – Maître de puissante inspiration – mais plus prosaïquement de Michel Rocard, qu’on ne peut soupçonner d’Afrocentricité. Son titre, Pour une autre Afrique, dit à quel point les ravages de la colonisation sont réels et la lutte pour les rattraper indispensable, notamment face à des prédateurs occidentaux qui veulent bien les décrire ou les déplorer, mais dont le premier réflexe, une fois qu’ils sont au pouvoir, n’est pas nécessairement de promouvoir l’indépendance et la dignité de l’Afrique.

La raison de vivre s’érige en raison de mourir

Au-delà d’un nommé Gbagbo, prétendons-nous, l’enjeu est l’avènement d’une Afrique autre. Ceux des enfants d’Afrique qui s’en rendent comptent et qui prennent la juste mesure des enjeux sauront que même proclamés perdants, ou à la limite assassinés, certains nationalistes patriotes seront demeurés des gagneurs. Au-delà des insuffisances, des incompréhensions ou des fautes de bibelots, la plupart auront activement œuvré au-delà de leur personne, pour l’indépendance de l’Afrique et la dignité d’une Afrique de peuples effectivement libres. Quand une cause est à ce point une raison de vivre, elle s’érige en raison de mourir. Et la gloire des nations réside dans le sacrifice de ceux de leurs enfants qui savent mourir pour leur raison de vivre. C’est ainsi que sans l’avoir recherché, certains patriotes entrent dans l’éternité de la mémoire de leur peuple.

L’Occident en général et l’Europe en particulier ont prouvé au monde qu’ils savent se déchirer dans des querelles ethniques et des conflits ethno économiques. La Shoah en est l’un des exemples les plus déshumanisants. L’unité de l’Europe n’a donc pas fini de se chercher. Sans doute va-t-elle enfin se trouver grâce à l’Afrique dont la même Europe occulte curieusement la saignée et l’holocauste négrier. Cette Europe esclavagiste et déchirée par ailleurs va sans doute reconquérir son unité grâce à une Côte d’Ivoire qu’un certain Laurent Gbagbo s’efforçait de réunifier. Il restera frappant que l’Europe en quête de sa propre unité n’ait pas hésité à aggraver l’éclatement d’une nation africaine pour défendre les intérêts d’un pays d’Europe. Et c’est de cette Europe ethnique, fort violemment intéressée, que l’Afrique devra recevoir des leçons d’éthique politique et humaniste ! Le malaise que l’Afrique éprouve vient de ce que l’Europe ne semble pas avoir, pour elle-même déjà, maîtrisé les leçons qu’elle veut bien dispenser ou, à l’occasion, imposer au reste du monde : élection n’est point synonyme de démocratie. Et en Afrique, la démocratie électorale ne saurait se satisfaire du décompte numérique des Commissions dites indépendantes qui ne garantissent aucune crédibilité à cause du voile de suspicion dont les contextes de leur création les couvrent.

Ne nous demandons plus où sont passées toutes ces nations indépendantes africaines qui ont célébré ou qui s’apprêtent à célébrer leurs «indépendances». L’Afrique aveuglée par extraversion politique n’a pas perçu le calcul d’une Europe aux voix discordantes par ailleurs, mais dont la Côte d’Ivoire accélère subitement l’unanimité. La cause est sans doute entendue, mais l’unanimisme occidental ne sera pas une leçon de démocratie pour l’Afrique du XXIème siècle. Cet unanimisme suspect confirme que pour les intérêts de l’un des leurs, l’Europe a résolu de faire corps et chorus, d’étouffer toute velléité de liberté en Afrique, quitte à installer au pouvoir ceux-là même qui, la veille, ont mis à feu et à sang le pays qu’ils s’impatientent aujourd’hui de gouverner. Ils seront sans doute au gouvernement ; mais quel gouvernail tiendront-ils ? La Côte d’Ivoire ne s’expose-t- elle pas au risque d’être gérée par procuration, par un simple gouverneur colonial aux ordres de la Sainte Union de l’Europe coloniale ?

L’unanimisme européen aura cependant atteint son objectif : entraver l’unification d’une nation en passe de panser ses blessures, et en faire un territoire ingouvernable. Cette manière qu’a l’Internationale colonialiste de se croire indispensable à l’Afrique crée de nombreux emplois pour l’Europe ; mais l’ingouvernabilité de la Côte d’Ivoire ne profitera à aucun Africain. Il est possible qu’elle ne profite même pas à l’Occident. Le Nouvel Ordre Mondial de la Colonisation l’instaure activement par fébrile avertissement à tout autre dirigeant africain qui aurait des démangeaisons de liberté et des velléités de souveraineté. Des morts, l’on en compte déjà. Mais qu’est-ce qu’un génocide de plus pour la machine coloniale ? L’histoire de l’Europe est d’une richesse écarlate : l’on y apprend que l’Europe sait toujours comment multiplier les fosses communes pour se faire de l’espace chez les autres. Mais pour avoir cautionné ce flagrant déni de souveraineté en Côte d’Ivoire, l’ONU a gagné en déshonneur et en dépréciation. Il devient de peu d’intérêt que l’ONU y ait été poussée par une Europe manœuvrière désireuse de recoller provisoirement ses propres morceaux. En ce XXIème siècle naissant, l’Afrique en charcuterie aura néanmoins servi à unir l’Europe dans une Internationale colonialiste sous protection de l’ONU…

On n’arrête pas le progrès. Et le progrès que le XXIème siècle s’apprête à enregistrer s’observe en Afrique, par la Côte d’Ivoire : la «Communauté internationale» aime désormais si profondément l’Afrique qu’elle se mobilise sans calcul pour y imposer son mode de sélection des dirigeants, au nom de cette liberté, de cette démocratie et de cette humanité que, pendant de longs siècles, la même Communauté internationale a brutalement niées à l’Afrique. Ce vaste renversement de programme est un peu tardif ; mais par cette prestidigitation, d’aucuns espèrent gommer des siècles de cet esclavage, de ces massacres et de ces spoliations dont l’Occident refuse de parler par négationnisme et refus de toute repentance. A travers la Côte d’Ivoire, l’Occident déclare à l’Afrique un amour si subit, si débordant et si tyrannique qu’il ne veut surtout pas que de pauvres Africains se noient dans leurs barils de pétrole, s’intoxiquent à l’uranium et s’aveuglent à l’éclat de leurs carats d’or ou de diamants. La «Communauté internationale» veut tellement le bien de l’Afrique qu’elle tient, pour ainsi dire coûte que vaille, à soulager le continent du poids écrasant de ses diverses dictatures : minières, forestières et politiques. Les principaux inspirateurs et acteurs de génocides africains tiennent tellement à libérer l’Afrique de ces dictateurs qu’ils en intronisent certains potentats dans le voisinage même de ceux qu’ils conspuent ou liquident, et dont le crime est d’avoir tenté de redonner quelque respectabilité à la «négraille inattendument debout» (Césaire). Mais quand l’Afrique n’aurait su produire que des dictateurs, il convient de retenir qu’à dictature égale, seule l’option nationaliste et patriotique compterait désormais pour l’Afrique. Et l’Afrique qui aspire à compter a reçu le message : soit se résigner à servir de plantation et de réserve de matières premières aux propriétaires autoproclamés du monde, soit travailler à définir elle-même, pour elle-même, ce qu’il lui conviendrait de progrès.

Le progrès de l’Afrique ne semble pas avoir la démocratie électorale pour levain ; au-delà des urnes, ce progrès se perçoit et se construit dans une convivialité consensuelle en adéquation avec les fondements anthropologiques de la culture africaine. L’Afrique croisera son destin sans le rencontrer si, par paresse intellectuelle ou par démission politique, ses enfants souscrivent à cet unanimisme contre nature par lequel la «communauté occidentale» autoproclamée «internationale» par maquillage de ses préoccupations matérielles, manœuvre pour que l’uniformisation du monde à son profit exclusif passe pour un noble souci d’harmonisation profitable à tous.

Les dettes de liberté se paient en monnaie de vie. On sait quel prix Toussaint Louverture dut payer dans le Jura français pour avoir voulu libérer Saint Domingue devenue Haïti. L’encerclement fut total et asphyxiant pour la première république noire. Il fallait démontrer que les Nègres ne pouvaient pas, et ne pourraient jamais assumer un destin autre que l’esclavage. Deux siècles après, le même schéma se reproduit, mais en terre africaine et de manière plus subtile, l’Internationale colonialiste ayant excipé de la démocratie électorale pour perpétrer l’embastillement d’une autre république noire en quête d’indépendance.

L’histoire africaine est d’une richesse pédagogique inépuisable. A chacun de nous d’en tirer ses propres leçons, pour l’avenir des Peuples d’Afrique – qui se conjugue au présent, au-delà d’un nommé Gbagbo.

Par Pr. Charly Gabriel Mbock, in La Nouvelle Expression (Cameroun), le 21 janvier 2011

In saoti.com

Gaston Kelman face à la Côte d'Ivoire : "Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ?"

colonisation.gif

L'écrivain camerounais Gaston Kelman s'est prononcé sur la situation en Côte d'Ivoire, refaisant la genèse du conflit.

Vous me connaissez. Je n’ai jamais été ni le céroféraire ni le thuriféraire d’un afrocentrisme militant, parce que tous les centrismes sont naïfs, et nocifs, et stériles. Je n’ai jamais supporté une Afrique tournée vers un passé qui ne se concevrait que dans l’âge d’or des pyramides ou l’âge de cendres de la colonisation et de l’esclavage. J’ai pu – ou su - crier à Douala que la France ne devait rien au Cameroun quand on se placerait sous cet éclairage des relations passées.

Avec Frantz Fanon, j’ai dit que je n’étais pas prisonnier de l’histoire, que je n’y cherchais pas un sens à ma destinée. J’ai toujours brandi le Hic et Nunc comme la règle, l’équerre et le compas qui traçaient les lignes de ma conduite et de ma relation à autrui. C’est ce Hic et Nunc qui m’autorise aujourd’hui à dire avec Aimé Césaire «fin à ce scandale » mais aussi «this scandal must be put to an end», pour me faire comprendre du maître de l’Outre-Atlantique ; à ne pas rester sourd à tant de souffrance et de dignité bafouées ; à me demander – pure question de rhétorique – quelle position aurait prise le défenseur de la liberté, de la justice et de l’Algérie meurtrie, Frantz Fanon.

Depuis les indépendances africaines, loin des positionnements stratégiques des politiques et des organismes internationaux – Union Africaine, CEDEAO - bien peu d’événements auront autant ébranlé le nationalisme populaire dans ce continent, que la situation ivoirienne. On peut penser à la mort de Patrice Lumumba, à celle de Thomas Sankara, à la chute de l’apartheid…

L’une des constantes de ces événements, c’est que dans aucun, l’Afrique n’a pu se féliciter de l’action de la «communauté internationale». Quand elle a été actrice, elle l’a fait en dépit de toute considération pour les états et les peuples, ou alors s’est enfermée dans un silence d’une complicité active.

Les populations africaines, jeunesse en tête, crient leur colère envers cette «communauté internationale» informe, insipide, qui se fait haineuse et haïssable et envers toutes les communautés adjacentes – ONU, UE, UA, CEDEAO. Que ces communautés persistent à maintenir en Côte d’Ivoire, le cap du bruit des bottes et des menaces d’asphyxie financières, est interprété par les manifestants de Paris, Bruxelles, Douala ou Abidjan et par les rédacteurs de pétitions africaines qui circulent sur la Toile, comme un mépris inacceptable. La France plus que tout autre nation – mais ses élites s’en rendent-elles seulement compte – devient l’objet d’une rupture profonde avec les populations africaines.

Un jour, un pays dirigé par un président élu, dont la légitimité n’est contestée par personne, ni la communauté domestique, ni les nations étrangères, ni les opposants politiques – Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara en tête -, est fragilisé par une tentative de coup d’état dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il est ethno porté, puisque revendiqué explicitement et exclusivement par la rébellion venue des populations du Nord du pays.

Alors, ni la communauté internationale, ni les opposants politiques, ni celle qu’on appelle l’ancienne puissance coloniale – comme si c’était un grade ou une qualité –, ne condamnent cette attaque barbare contre la démocratie. Ni la communauté internationale, ni les communautés adjacentes, ni les opposants politiques, ne proposent une intervention militaire pour ramener le pays à l’ordre démocratique. Certains iront même plus loin dans l’absurde.

La France qui est liée à l’état ivoirien par des accords militaires, fortifie la légitimité des rebelles en les invitant à la table des négociations marcusiennes, au même titre que l’état ivoirien, avec son gouvernement, son Parlement et son président élu. On imagine mal la France et la rébellion corse convoquées à l’ONU.

On se demande pourquoi personne ne vole au secours d’une Belgique sans gouvernement depuis des mois. Mais rien n’est trop bas quand il s’agit de l’Afrique. La France installe une ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, actant la partition de la Côte d’Ivoire en deux entités, l’une laissée à la gestion barbare d’une bande rebelle.

Le cynisme n’ayant pas de limite dans cette affaire, le Nord devient plus souverain que le Sud. La rébellion peut continuer à s’armer tranquillement, mais elle ira aussi siéger au gouvernement du Sud. Guillaume Soro devient Premier ministre. Supposé préparer les élections, il peut se permettre de ne pas respecter les résolutions des divers accords, notamment le désarmement de la rébellion, préalable indispensable à la tenue d’élections fiables. La communauté internationale n’en a cure et pilonne systématiquement le président ivoirien élu, le pressant d’organiser les élections dans des conditions dont on sait qu’elles conduiront inévitablement vers une impasse.

Les élections ont lieu. Au Nord, la rébellion est toujours armée. Le lendemain du deuxième tour – le 29 novembre 2010 – la presse, qu’on la dise favorable à un bord ou à un autre, est unanime pour souligner la baisse de la participation par rapport au premier tour. On parle de 70%. Le même jour, un communiqué de l’ONUCI – la représentation armée des Nations Unies en Côte d’Ivoire - fait état d’un taux de participation «
avoisinant les 70%». Le jour après, miracle, le taux de participation fait un bond de sauteur à la perche et franchit la barre des 80%.

La «
communauté internationale» et l’ONUCI valident, adoubent leur champion, le portent sur les fonts baptismaux de l’innommable et le couronnent nuitamment dans son quartier général de campagne, sous l’œil attendri des ambassadeurs de France et des USA. Guillaume Soro change de camp avec armes – c’est le cas de le dire – et bagages, sans tirer le moindre cri d’indignation, allant ainsi récupérer une rançon dont vous devinerez aisément la contrepartie.

Le plus naïf des observateurs aura compris le rôle qu’il jouait dans l’équipe de Laurent Gbagbo : veiller justement au non-désarmement de la rébellion, car elle pourrait resservir. Le camp de Laurent Gbagbo conteste l’action de la «communauté internationale», proteste, affirme que comme dans bien des pays démocratiques dont la France et les USA – Barack Obama n’a-t-il pas demandé aux Africains de respecter leurs institutions -, la légitimité de la proclamation des résultats en Côte d’Ivoire revient au Conseil Constitutionnel.

Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ?

Il est difficile à quiconque de comprendre, contre tous les textes qui régissent son action, l’entêtement de la «communauté internationale» et des communautés adjacentes à imposer leurs décisions à la Côte d’Ivoire. Qui pourra aujourd’hui nous dire ce que c’est que cette «
communauté internationale» qui se définit à l’exclusion de l’Union Africaine. Qui peut imaginer que, si elle réussissait à la fin à convaincre la CDEAO d’envoyer un corps expéditionnaire déloger le «méchant», comme le lui demande «le bon» par une guerre civile ou une opération ciblée sur le palais présidentiel, opération dont les puissances occidentales assureraient l’armement et la logistique, qui peut s’imaginer que les soldats de la CEDEAO dont des parents résident dans cette Côte d’Ivoire qui a toujours été une terre d’accueil des migrants africains, se grandiraient à aller verser leur sang et le sang d’autres Africains, civils et militaires, pour une cause dont la justesse reste à démontrer et pour obéir à des diktats étrangers.

Et toi, «communauté internationale» mon amie, où étais-tu donc quand en Afrique l’on assassinait la liberté et l’espérance qui avaient noms Ruben Oum Nyobè le nationaliste camerounais dans le maquis des années 50 et sa guerre d’indépendance, Patrice Lumumba, Premier ministre congolais dans les années 60, et même, hier encore, sous nos yeux parisiens, Dulcie September, la représentante de l’ANC dans les années 80 ! Où étais-tu donc quand Nelson Mandela croupissait dans les geôles de la honte et du racisme ; son peuple du sud chanté par Senghor, dans les ports les chantiers les mines et les manufactures, le soir, ségrégué dans les kraals de la misère, alors qu’il entassait des montagnes d’or noir, d’or rouge et crevait de faim ; sous le regard goguenard de l’ONU ! Qui s’imaginerait que par une métempsychose fortuite, «communauté internationale», tu te mettes à défendre les intérêts de ce continent, toi qui n’as jamais su lui trouver une place au sein du Conseil de Sécurité de ton bras actif, l’Organisation des Nations Unies. Grand prêtre Laocoon réveille-toi, on leur fait des cadeaux ! Serait-ce un cheval de Troie ! Que cacherait le cheval d’Abidjan ?

Et toi, peuple de France, je te connais et suis désormais tien. Je sais qu’en tes veines, coule l’esprit de Champagney. Je pense à toi, Champagney, modeste commune de Haute-Saône, un beau jour, rebaptisée Champagney-la-grande par Camille Darsière, député de la Martinique. Tu fus terre chantre de la Liberté, terre recréatrice de l’Egalité, terre symbole de la Fraternité universelle. Tu chantas ton humanisme flamboyant en ce jour béni du 19 mars 1789 quand dans l’article 29 de ton cahier des doléances, tu gravas ta grandeur et l’âme de la France éternelle sur le marbre républicain.

«Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur en se représentant leurs semblables unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu'on puisse faire usage des productions desdites colonies, si l'on faisait réflexion qu'elles ont été arrosées du sang de leurs semblables, ils craignent avec raison que les générations futures plus éclairées et plus philosophes n'accusent les Français de ce siècle d'avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom de Français et plus encore celui de chrétien. C'est pourquoi leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour de ces esclaves faire des sujets utiles au Roy et à la patrie». C’était le temps béni où à Champaney, les nègres étaient des semblables, des frères. Générations futures, réveillez-vous donc ! C’est un ordre venu du fond des âges !

Que vos mânes, à vous les 444 Champagnésiens de l’Histoire, reposent en paix. Votre humanisme est intact dans l’âme de vos descendants et de tous les Français, ce peuple dont j’ai tant chanté l’humanisme et l’antiracisme ; peuple de fraternité champion du monde des mariages mixtes – tabou suprême du racisme - parce que le voisin devient bien vite frère et beau-fils et beau-frère ; mais peuple malade de ses élites – toutes ses élites, intellectuelles et journalistiques, politiques - qui perpétuent l’arrogance civilisatrice et dominatrice.

Aujourd’hui, le peuple de France se demande pourquoi il est honni par monts et par vaux lointains. J’entends les trémolos de ce bon peuple de petites gens mes amis, qui me demande pourquoi on n’aime plus la France en Afrique ou ailleurs. Il ne comprend pas malgré les explications de Stephen Smith qui nous apprit naguère Comment la France a perdu l’Afrique, comme on perd une possession et non un ami ou ce parent que Senghor voulu inventer avec la création de la Francophonie, après la double bestialisation portée par la colonisation – celle du maître par ses actes et celle du colonisé par le maître.

Et l’on pense à nos enfants français massacrés à Niamey, dont l’un venu tisser par le mariage avec une Africaine, les plus forts et les plus nobles et les humains et les plus beaux liens de fraternité ; massacrés par des fous, mais qui – à tort, à grandissime et bestial tort – peuvent prétendre se venger de l’arrogance de la France politique. Et l’on pense à ce ministre qui, non contente de signer des autorisations de vente des outils de la répression à un régime dictatorial aux abois, proposait de former les assassins à l’art et à la manière inodores d’en faire bon usage pour mâter une révolution portée par la jeunesse. Alors avec les errements du discours politique français sur la révolution tunisienne, mes amis ne se demandent plus comment ils seront désormais accueillis sur les plages d’Hammamet et de Port El Kantaoui, dans les souks de Sousse et de Nabeul, les destinations privilégiées de leurs vacances.

Mânes de Champagnesiens, je vous sais vivantes dans l’âme française. Et je l’entendrai toujours, malgré les justes questionnements du poète malgache Jacques Rabemananjara, «claire innocence, ton chant trop pur, ta voix trop douce dans le croassement des ténèbres » de la barbarie humaine. Certes, Rabemananjara, «la force aveugle de l’abîme tire de son fouet le son aigre de l’agonie». Certes, cher défunt maître, «les étoiles meurent sans un soupir» à Niamey, Abidjan et ailleurs. Mais vaine est la barbarie et la justice triomphe toujours.

Pour revenir à la Côte d’Ivoire et aux positionnements des élites françaises, la journaliste et l’intellectuelle, ne sont pas en reste. La presse tout entière, de la plus révolutionnaire à la plus révoltante, à l’exception notable du Gri-Gri international – si j’en oublie, mea culpa - , relaie à l’envie, le discours nauséeux des politiques aveugles et les pétitions impies – le Monde des idées - d’une intelligentsia borgne en cette occasion – elle ne l’a pas toujours été, Dieu merci – que signent, assourdis par le tintamarre ambiant, quelques Africains dont l’un d’eux m’avouera implicitement son erreur et rectifiera le tir avec une tribune intermédiaire.

Communauté internationale et consorts, me direz-vous un jour de quel charme improbable, de quelle virginité soudaine, vous habillez Alassane Ouattara l’ancien Premier Ministre dont on peut dire sans méchanceté aucune qu’il incarne un passé bien peu démocratique dont furent d’ailleurs victimes des ivoiriens coupables d’opposition, et son âme damnée le rebelle Guillaume Soro, improbable faiseur de rois, qui promet des châtiments à tire-larigot ! Me direz-vous un jour ce que vous récompensez en eux - pour Salomé, fille d’Hérodiade, ce furent ses talents de danseuse - pour leur offrir sur un plateau comme jadis celle de Jean-Baptiste, la tête de la Côte d’Ivoire qui ne vous appartient pas ! Quels intérêts – permettez-moi une naïveté passagère, ponctuelle – vous poussent à la diabolisation subite d’un homme, Laurent Gbagbo, qui fut le seul leader ivoirien à mener une opposition impossible mais pacifique à Félix Houphouët-Boigny, à accepter la prison et l’exil, à briguer la magistrature suprême, à la gagner en venant de l’opposition, sans jamais avoir compromis son combat par l’acceptation d’un maroquin corrupteur ; qui peut dire avec Rabemananjara «
mes doigts son clairs comme le printemps, mon cœur est neuf comme une hostie».

Dans une chronique récente, j’interpellais l’intellectuel africain, afin qu’il prenne position, qu’il embarque dans ce train de la renaissance qui passe devant sa porte. Parodiant Aimé Césaire, je lui intimais de parler, afin d’attaquer à leurs bases, oppression et servitude pour rendre possible la fraternité. Quelques-uns l’avaient déjà fait. D’autres m’ont écouté. Mais lequel, de la fantasque Calixthe Bayala – Laurent Gbagbo n’est pas seul - au vieil Olympe Bhêly-Quenum – Je fustige les rebelles de Ouattara -, en passant par le flegmatique prix Renaudot, le peul Tierno Monenembo – l’ONU ne doit pas recoloniser l’Afrique – ou l’indomptable Achille Mbembe – La démocratie au bazooka - ; lequel a tissé le moindre laurier même en papier recyclé à la «communauté internationale» ? Lequel a salué Barack Obama ou encensé Nicolas Sarkozy ? Combien ont reconnu la légitimité de Ouattara ? Lequel n’a pas apporté son soutien explicite ou implicite à Laurent Gbagbo, les plus minimalistes demandant comme lui, que l’on respecte les textes d’un état souverain ; que l’on arrête les bruits de bottes et les rodomontades grotesques – incontournable pléonasme –, que cette affaire soit laissée à la discrétion des Ivoiriens. Quel homme politique africain a envoyé le plus petit courriel de félicitation à Ouattara !

Qui pourrait comprendre qu’au lendemain de la célébration du cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies françaises d’Afrique, ce continent soit encore regardé avec les yeux du documentaire récemment diffusé par France télévision sur la Françafrique, documentaire inattendument prophétique, qui annonçait la victoire de Ouattara –, les explications alambiquées du réalisateur n’y pourront rien – alors qu’il avait été produit des mois avant les élections ivoiriennes ? Qui peut accepter qu’un certain Monsieur Choi se comporte encore comme un commandant de cercle ? Nos enfants ne nous mépriseraient-il pas à juste titre s’ils savaient que nous étions restés muets devant le spectacle grotesque d’une furtive proclamation de la victoire d’un candidat par les ambassadeurs étrangers dans son Quartier Général.

Je voudrais comme le Chaka de Senghor, voir «l’Afrique comme une fourmilière de silence au travail». Mais ce ne sera plus sous le fouet des Boers, ce ne sera plus ce peuple du Sud «soumis à la règle, à l’équerre et au compas», ce ne sera plus derrière «les forêts fauchées et les collines anéanties» pour l’enrichissement des autres. Ce sera par l’Afrique, pour l’Afrique son peuple et sa jeunesse qui commencent à monter au front de la dignité. Et lentement, sûrement, progressivement – merci Césaire -, la vieille négritude se cadavérise. Vous serez obligés de laisser la Côte d’Ivoire écrire les premières lettres de son épitaphe. Le destin l’a choisie car elle le vaut bien, cette Hirondelle du printemps africain.

Par Gaston Kelman, le 31 janvier 2011


In saoti.com